Les articles sur le deuil sont nombreux. Ils renvoient le plus souvent au décès d’une personne aimée.
En tant que coach et thérapeute, je rencontre des personnes qui ne s’y retrouvent pas : parents toxiques, enfance pesante… Disons que les traces des mauvais souvenirs et du climat familial ont altéré l’attachement.
Pour traiter de cette thématique, Claudie P. a accepté que je l’interviewe.
Bonjour, Claudie, tu acceptes d’être interviewée sur le thème « Vivre le deuil d’un parent autoritaire et abusif ». Merci de ta confiance.
Avant de publier cet article, je te laisserai valider qu’il est conforme à ce que tu souhaites exprimer.
Question 1 : pourrais-tu donner des éléments de contexte concernant ce parent que tu n’aimais pas afin de rendre les choses plus concrètes ?
« Je suis fille unique. Toute ma vie j’ai eu peur de mon père, je ne pouvais pas l’approcher, je n’avais pas envie qu’il m’approche. J’étais terrorisée par sa voix et j’avais peur de son autorité abusive. Ma mère ne s’opposait pas.
Cette terreur ne m’a jamais quittée.
Toute ma vie, j’ai eu peur de décevoir, j’étais incapable de dire « je ne veux pas ». J’ai quitté mes parents dès que j’ai pu. J’avais 19 ans.
J’ai ressenti un profond sentiment d’injustice quand mes parents sont devenus dépendants. J’ai été aidante pendant 2 ans et j’ai dû accompagner mon père jusqu’à son décès. »
Question 2 : parlons de cette période qui précède le deuil où tu as dû accompagner ton père
« En 2022, les problèmes successifs de santé de mes parents se sont accumulés. En 2023, ils ne se déplaçaient plus et mon père était cloué sur son lit.
Je trouvais injuste d’avoir à m’occuper de mes parents, eux qui ne m’avaient jamais exprimé leur affection. Et voilà qu’il fallait que je m’occupe d’eux, que je les prenne en charge.
J’en n’avais aucune envie, je trouvais que cela n’était pas normal, je le faisais par devoir. Je pensais que c’était lourd le devoir moral tout en constatant leur vulnérabilité.
Physiquement, j’étais épuisée, j’avais l’impression que mon énergie était aspirée. »
Question 3 : si nous évoquons à présent le décès de ton père, comment l’as-tu vécu ?
« Je distinguerai plusieurs périodes :
– L’annonce du décès
Mon père est décédé alors qu’il était dans un ephad. Quand on m’a annoncé la nouvelle, je n’ai ressenti aucune émotion et physiquement aucune sensation particulière.
J’ai l’impression que c’était une forme d’indifférence.
C’est moi qui ai annoncé à ma mère le décès de mon père, j’appréhendais sa réaction. Elle n’a manifesté aucune émotion, je ne sais pas ce qu’elle ressentait.
– Les obsèques
J’ai refusé d’aller voir mon père au funérarium. Pour l’organisation des obsèques, « j’ai fait le job ».
Je n’en avais pas envie, j’éprouvais de l’épuisement, j’avais du mal à ressentir de la colère.
C’est moi qui ai informé la famille. Certains ont évoqué de bons moments avec mes parents . J’ai ressenti un peu de tristesse de n’avoir pas de souvenirs de bons moments avec eux.
Je n’ai pas fait de discours, je n’avais rien à dire. J’étais soulagée de voir que ma mère n’était pas écroulée.
– Dans les 6 mois après le décès
« Cette période a été terrible : j’ai dû faire face au quotidien, beaucoup de démarches interminables.
Ces démarches captaient mon temps, mes journées alors que je voulais que tout s’arrête maintenant qu’il n’était plus là. Tout était compliqué, pesant : les banques, les administrations, le notaire.
J’étais contrainte de mettre le nez dans l’intimité de mes parents, de connaître des choses que j’aurais voulu ignorer.
C’est comme si je replongeais dans ce climat de non-dits dans lequel j’ai baigné toute mon enfance.
Ces photos qui contredisaient ce qui avait été dit en famille constituaient une trahison de plus
« J’éprouvais une grande colère : comment un enfant peut-il se développer si on lui cache d’ où il vient, s’il ne peut pas se relier à ses racines ?
J’ai longtemps pensé « je ne viens de personne, donc je ne suis personne ».
Ces choses sombres que j’avais pressenties enfant refaisaient surface, cette impression de ne pas être reliée, de toujours chercher à savoir d’où je venais pour savoir qui j’étais et vers où aller….
Peut-être cela explique-t-il la mise à distance voire le refus des émotions… »
J’ai vidé la maison des mes parents
Toucher des objets avec lesquels j’avais vécu faisait revivre de mauvais souvenirs. C’était lourd et je faisais des cauchemars la nuit…
En même temps que je découvrais un monde plus vaste que je le pensais, je mesurais l’étendue des non-dits et du mensonge.
J’encaissais et mon niveau d’énergie était plombé.
J’ai commencé à ressentir de la culpabilité.
Ne doit-on pas éprouver de la tristesse à la mort de son père ? On se doit d’aimer ses parents, n’est-ce pas ? On se doit de souffrir du départ de son père.
Moi, rien de tout cela. Pas facile à assumer !
– Environ 1 an après le décès, une certaine libération
Ma culpabilité a diminué avec le temps. Récemment, j’ai visionné une conférence de Christophe Fauré. Il parlait du deuil d’une personne aimée, pas d’un parent qu’on n’aimait pas.
Je me suis dit « j’ai le droit de vivre le deuil à ma façon, il n’y a pas de normes, tant pis si je n’ai pas pleuré. »
J’ai coupé le lien définitivement et je me sens un peu libérée.
Bizarrement, les peurs qui me poursuivaient la nuit au moment du coucher depuis l’enfance, ont disparu. Il ne me fera plus jamais peur.
C’est violent car je constate combien tout cela m’a affectée, dans le rapport aux hommes notamment. Je me dis « je vais enfin respirer » à l’endroit où je me suis toujours sentie « empêchée »
Je trouve que témoigner de ce vécu est libérateur, j’en suis là, je vais mieux. J’accepte qu’il y a des tas de choses que je ne pourrai jamais savoir.
J’ai envie de lâcher le décorticage du passé… »
Merci Claudie pour la richesse et l’authenticité de ton témoignage qui fait écho à nombre d’entre nous.